Le parc éolien en mer de Saint-Nazaire sort de l’eau
Publié le 20/05/2021 par lemarin
■La première fondation d’éolienne et sa pièce de transition ont été installées par le navire « Innovation » le 7 mai.
■EDF Renouvelables a estimé à 2 000 le nombre de personnes qui travaillait, fin mars en France, sur le projet.
■Le parc de 480 MW doit injecter ses premiers électrons dans le réseau électrique français à l’été 2022.
Les grandes manœuvres ont débuté pour la construction du parc éolien en mer de Saint-Nazaire, porté par EDF Renouvelables et le canadien Enbridge. Le premier du genre en France. Après la pose en avril, par le Sea Installer de Deme, des quatre pieux destinés à recevoir la fondation jacket de la sous-station électrique, en cours de fabrication aux Chantiers de l’Atlantique, c’est le navire jack-up Innovation du groupe belge qui est entré en scène.
Sa mission est d’installer les 80 fondations monopieux en acier et leurs pièces de transition sur lesquelles viendront se poser les éoliennes de 6 MW fabriquées par GE dans son usine de Saint-Nazaire. Une première rotation entre le site du parc et le port de La Rochelle, où est entreposé le matériel, a eu lieu début mai.
https://www.youtube.com/watch?v=pWAEWnd5HH8Les opérations de manutention dans le port rochelais ont été confiées à l’Agence maritime de La Pallice (AMLP). La filiale du groupe Maritime Kuhn s’occupe de décharger les pièces en provenance de Rotterdam à bord du Svenja, de l’allemand Sal, de les entreposer sur le terminal de l’anse Saint-Marc, puis de les recharger à bord de l’Innovation. Tous les dix jours, quatre monopieux et leurs pièces de transition arrivent depuis les Pays-Bas où ils sont fabriqués.
Banc rocheux
L’Innovation emporte, lui, trois sets, soit six pièces, par rotation. « Pour le premier chargement, le travail a été effectué non-stop en trois shifts de huit heures », indique François-Georges Kuhn, responsable des opérations énergies marines du groupe. Un seul de ces trois ensembles a, pour l’instant, été installé dans le parc et émerge de l’eau depuis le 7 mai. La faute a une météo capricieuse. « Nous nous étions heureusement donné une période d’apprentissage assez étendue pour poser les premières fondations », indique Olivier de la Laurencie, directeur du projet chez EDF Renouvelables.
Le chantier constitue une grande première dans le monde de l’éolien car situé sur un banc rocheux. Il a ainsi fallu développer un équipement pour stabiliser le pieu puis forer ou battre ce dernier dans la roche. Les câbles entre les éoliennes, dont la pose confiée à Louis Dreyfus travocéan doit débuter en août, seront enfermés dans une enfilade de coquilles en fonte pour les stabiliser et les protéger de ce sol abrasif.
Météo
Deux sociétés travaillent en parallèle sur les prévisions météo pour le chantier de Saint-Nazaire.
Câbles
L’usine AFC de Redon, lauréate du contrat des demi-coquilles en fonte pour la protection des câbles interéoliennes, doit produire 436 000 pièces.
45 000
En mètres carrés, la superficie allouée par AMLP au port de La Rochelle pour le stockage des fondations et des pièces de transition pour Saint-Nazaire.
Deux navires, les Boa SubC, navire de soutien à l’offshore, et Alma Kappa, sont engagés aux côtés de l’Innovation. « Le premier intervient une fois l’installation de la fondation terminée pour les travaux de finition et de mise en service. Le second est un remorqueur qui sert de navire de servitude pour les différentes bouées utilisées (mesures de bruit, systèmes d’effarouchement) autour des zones de travaux et pour réaliser les vérifications du sol sousmarin après la construction », explique Olivier de la Laurencie.
L’entreprise néerlandaise Groen a dépêché deux autres navires. Le Furore-G, un ancien patrouilleur de la gendarmerie des Pays-Bas, surveille la zone de travaux dont l’accès est réglementé par un arrêté préfectoral. Le CTV Green Waves amène les équipes en mer.
La coordination maritime du chantier est installée à Saint-Nazaire. (Photo : Parc éolien en mer de Saint-Nazaire / Capa corporate)
Le britannique Green marine solutions, accompagné du français Atlantique marine services, s’est vu confier la coordination maritime du chantier, réalisée depuis la base de construction de Saint-Nazaire. « Lors de notre dernier recensement, fin mars, nous avons compté plus de 2 000 personnes qui travaillaient sur le projet en France, dont plus de 1 000 en Pays de la Loire », indique Olivier de la Laurencie.
Reste une présence importante d’acteurs étrangers pour les travaux en mer. « Pour un certain nombre de segments d’activité, comme les navires de pose, il n’y a pas d’offre française. Une filière ne se construit pas en un seul projet mais nous poussons en ce sens », souligne le chef de projet.
Loïc FABRÈGUES
UNE MONTÉE EN PUISSANCE QUI IRA CRESCENDO
Le chantier du parc éolien en mer de Saint-Nazaire se déroulera en plusieurs étapes. D’ici la fin de l’année, ce sont environ deux tiers des 80 fondations monopieux et leurs pièces de transition qui devraient être installées. La moitié des 50 km de câbles interéoliennes devrait aussi être posée.
La mise en place de la sous-station électrique est prévue, de son côté, durant l’été. RTE, qui en a quasiment terminé avec les travaux d’interconnexion du parc au réseau électrique national, réalisera ensuite le raccordement de la sous-station.
« Le pic d’activité en mer se situera entre mars et l’été 2022 », indique Olivier de la Laurencie. À cette époque sera menée en parallèle la fin de la pose des fondations et des câbles interéoliennes, tandis qu’aura commencé l’installation des turbines par GE avec le navire Vole au Vent du belge Jan de Nul.
« Nous avons prévu une mise en service du parc en trois tranches de 20, 20 et 40 éoliennes », poursuit le directeur du projet chez EDF Renouvelables. Les premiers électrons doivent être injectés dans le réseau électrique français à l’été 2022.
Le chantier doit prendre fin durant le mois de décembre. La base de maintenance sur le port de La Turballe, dont le gros œuvre est achevé, sera livrée fin 2021. Des pontons seront installés pour accueillir les deux CTV de GE et celui d’EDF Renouvelables. La base doit abriter une centaine d’emplois pour la maintenance et l’exploitation du parc.
La base de maintenance de La Turballe doit être livrée à la fin de l’année 2021. (Photo : Parc éolien en mer de Saint-Nazaire / Capa corporate)
LES CHANTIERS DE L’ATLANTIQUE PRÉPARENT L’INSTALLATION DE LA SOUS-STATION ÉLECTRIQUE
Les essais du topside de la sous-station sont en cours au chantier naval, dernière ligne droite avant les travaux offshore, annoncés pour la fin d’été par le consortium Chantiers de l’Atlantique - GE Grid solutions - SDI.
À Saint-Nazaire, le topside de 2 200 tonnes, la partie supérieure de la sous-station électrique, est achevé depuis quelques semaines. « Avec notre partenaire GE Grid solutions, nous faisons les essais à quai, avec la mise en route des systèmes d’air conditionné, de protection incendie, des tableaux et équipements électriques, systèmes de communication… », explique Frédéric Grizaud, directeur d’Atlantique offshore energy, le département énergies marines des Chantiers de l’Atlantique.
« Chaque salarié d’Atlantique offshore energy et plus de 150 sous-traitants ont travaillé sur la sous-station du parc éolien », souligne Frédéric Grizaud. (Photo : B. Biger / Chantiers de l’Atlantique)
Les deux GIS, les postes électriques sous enveloppe métallique, ont aussi été démarrés, et les équipes tirent les câbles haute tension de 33 000 volts et très haute tension de 225 000 volts entre les GIS et les transformateurs. Ce n’est pas la préparation d’une fusée au décollage, mais quand même… « Nous n’avons pas le droit à l’erreur sur ce type d’objet complexe, fortement intégré avec plein de systèmes interconnectés. »
Le chantier naval s’est focalisé sur les parties à haute valeur ajoutée, confiant la réalisation de la fondation jacket de 1 300 tonnes à l’italien Rosetti Marino, à Ravenne. Si tout va bien côté météo, elle arrivera avant la mi-juillet. Sous-station et jacket seront embarquées chacune sur une barge et placées dans le bassin de Penhoët en attendant l’arrivée du navire de pose, prévue courant août.
Ce sera l’impressionnant Pioneering Spirit (Allseas), le plus grand navire de construction du monde (382 mètres hors tout, 124 mètres de large avec ses coques séparées), qui prendra en charge les opérations en mer. Une fois la jacket posée et la connexion cimentée sous-marine sèche, le topside sera installé en quelques heures. Après la réalisation de la jonction et la mise en route de la sous-station, RTE connectera son câble export, à l’automne.
Au chantier naval, pas de temps mort : le topside de Fécamp entrera en peinture en juin, la découpe de la première tôle de celui de Courseulles-sur-Mer est imminente, et les études ont commencé pour celui de Gode Wind 3, en Allemagne.
Véronique COUZINOU
DE L’ACTIVITÉ POUR LE PORT DE NANTES - SAINT-NAZAIRE
Pour intégrer la manutention et le grutage portuaires dans les projets éoliens offshore, le port de Nantes - Saint-Nazaire a investi 8 millions d’euros dans deux nouvelles grues. (Photo : F. Badaire / NSNP)
En 2021-2022, une centaine d'escales sont annoncées au grand port maritime de Nantes - Saint-Nazaire, en lien avec la construction du parc éolien en mer du banc de Guérande.
À l’échelle du grand port maritime de Nantes - Saint-Nazaire, le trafic généré par la construction du parc éolien représente « deux à quatre escales par mois, avec des chargements et déchargements à haute valeur ajoutée de composants très grands, très lourds et très chers », explique Ludovic Bocquier, responsable de la division énergies au port.
En 2021-2022, une centaine d’escales sont annoncées, notamment pour amener des pièces XXL sur le site de préassemblage de 15 hectares de GE : tronçons de mâts et pales arrivant d’Espagne, e-staks (pièces d’équipement électrique) réalisés chez Clemessy-Eiffage énergie systèmes transférés par barges, transport par bateau depuis l’usine GE des 40 premières nacelles stockées sur site, embarquement de mortier de ciment pour les fondations d’éoliennes par les navires de soutien de l’Innovation depuis le terminal multivrac, ou encore escales des navires chiens de garde sécurisant la zone de construction et des crew transfer vessels (CTV) de relève d’équipage.
Des opérations inédites
« Soit des milliers d’heures de travail pour les dockers et grutiers portuaires, qui sont pleinement intégrés à ce projet », assure Ludovic Bocquier. Par ailleurs, le port est mobilisé sur des opérations inédites, dont la plus emblématique, en avril, a été le déchargement en continu, pendant 22 jours, du câble interéoliennes de 104 km de long. Mis en bobine, il attend d’être embarqué par tronçon, à partir de cet été, pour le début de la pose...
Véronique COUZINOU
LES PÊCHEURS LIGÉRIENS FONT AVEC LE PARC ÉOLIEN EN MER, BON GRÉ MAL GRÉ
Loin d’être enthousiasmés par la construction du parc éolien en mer de Saint-Nazaire, les pêcheurs des Pays de la Loire ont décidé de composer avec.
« Ce qui aurait été satisfaisant pour les pêcheurs, c’est qu’il n’y ait pas de parc. Maintenant, nous avons eu du temps pour nous y préparer », lance José Jouneau, le président du Corepem (comité régional des pêches des Pays de la Loire). Dix ans exactement que l’appel d’offres pour le parc éolien en mer de Saint-Nazaire a été lancé. Neuf qu’il a été attribué à la société de projet Éolien maritime France, composée aujourd’hui d’EDF Renouvelables et du canadien Enbridge.
« Ni pour ni contre »
« La maxime, à l’époque du conseil du Corepem, était de ne pas se positionner pour ou contre le parc. Mais nous voulions être dans la concertation pour l’élaboration du projet. Cela a été respecté », raconte le patron des pêcheurs ligériens. Les sujets à débattre avec le consortium à la tête du parc et RTE, en charge de son raccordement au réseau terrestre, ont été nombreux. Quid de la pêche dans le parc, études à réaliser, mesures d’accompagnement individuelles et collectives ? Les négociations ont parfois été vives.
« On s’est dit les choses, indique José Jouneau. Pour la pêche, on a créé une réglementation. Si le parc voyait le jour, nous avons convenu qu’il n’y aurait pas d’arts traînants, d’autant qu’il s’agit d’un fond récifal. » Mais les arts dormants « y sont acceptés », rappelle-t-il.
Le comité régional des pêches des Pays de la Loire (Corepem) ne s’est jamais positionné pour ou contre le parc éolien en mer, mais voulait être dans la concertation. (Photo d’illustration : Orsted)
« Pour les câbles interéoliennes en revanche, cela a été toute une péripétie. Tout n’est pas parfait mais on a avancé de chaque côté sur une forme de consensus qui s’est traduit au travers de conventions. » Il a fallu aussi défricher le terrain. La zone du parc n’est pas fréquentée par énormément de bateaux, mais pour certains, le secteur peut représenter jusqu’à 80 % de leur activité. D’autres viennent de manière épisodique.
« Nous avons donc créé avec EDF Renouvelables, RTE et une cellule de l’université de Nantes, des outils pour calculer les indemnisations qui incorporent aussi les reports de pêche sur d’autres secteurs », explique le président du Corepem. Avec le démarrage des travaux, une commission des litiges avec les professionnels et les développeurs se réunit une fois par mois pour statuer sur chaque cas.
Reste que le parc ne fait pas l’unanimité au niveau des pêcheurs. « Entre le moment où le projet a été décidé et aujourd’hui, il y a eu le Brexit, les zones de protection forte dont on ne sait pas ce qu’elles vont donner, de nouveaux appels d’offres éoliens en mer. On nous réduit l’espace. Cela crée de l’anxiété chez les professionnels », témoigne José Jouneau.
Loïc FABRÈGUES