Les fondations du parc de Fécamp dévoilent un chantier pharaonique
Publié le 31/03/2022
Ni jacket ni monopieu, les 71 fondations des éoliennes offshore de 7 MW du parc éolien de Fécamp seront gravitaires. Leur construction, en cours au port du Havre, relève d’une organisation quasi industrielle.
L’alignement est impressionnant. Sur quatre rangées, à raison de 17 à 18 unités en construction pour chacune d’elles, les 71 fondations gravitaires du futur parc éolien en mer de Fécamp s’élèvent peu à peu dans le ciel du port du Havre. La construction de ces géants de béton sur 26 hectares quai de Bougainville a débuté fin 2020 et doit se poursuivre jusqu’à l’été.
Confié à Bouygues travaux publics à la tête d’un consortium avec Saipem et Boskalis, pour la fabrication, le transport et l’installation en mer de ces structures, ce chantier mobilise en moyenne 600 personnes. Coffreurs, terrassiers, ferrailleurs, logisticiens, peintres, les effectifs peuvent monter jusqu’à 1 000. « C’est un chantier unique au monde, relate Bruno Bensasson. Aucun parc n’a jamais nécessité autant de fondations gravitaires. »
Le PDG d’EDF Renouvelables connaît bien le sujet. La filiale du groupe EDF, porteuse du projet de Fécamp avec WPD et EIH, coentreprise formée par Enbridge et CPP Investment, a été la première à les utiliser. D’abord en 2015 pour le mât de mesure de Fécamp, puis en 2017 pour les éoliennes du parc pilote de Blyth, au large des côtes anglaises du Northumberland. Deux réalisations sans commune mesure néanmoins avec le chantier actuel : une seule fondation a été nécessaire pour le mât. Il en a fallu tout au plus cinq pour le projet anglais.
Face à cette commande exceptionnelle par son nombre et le court délai pour son exécution, la construction des fondations pour le parc normand a nécessité de déployer les grands moyens. « Cela ressemble plus à une organisation d’usine qu’à un chantier pour un ouvrage unique comme un pont », raconte Nicolas Jestin, directeur de production pour le parc éolien en mer de Fécamp chez Bouygues travaux publics. Seule différence avec une fabrication à la chaîne en usine, où le produit passe de poste en poste, ce sont les ateliers qui bougent sur les quais du Havre. Il n’aurait pas été raisonnable de vouloir déplacer ces monstres dont le poids final s’élève à 5 000 tonnes.
Une organisation millimétrée
Pour le génie civil, des équipes de six personnes, chacune attitrée à une partie de la construction, se relaient jour et nuit sur les quatre lignes de production pour fabriquer en parallèle ces fondations. L’outillage déployé est en conséquence. Dix-neuf grues à tour occupent les voies centrales du chantier et permettent de travailler sur les structures disposées de part et d’autre selon une organisation millimétrée. « Pour des raisons d’espacement, les 16 grues mobiles qui complètent le dispositif sont à flèche relevable », explique Nicolas Jestin. Ce choix d’engins de levage « peu conventionnels » permet d’en organiser le ballet sans risque de les accrocher.
La construction des fondations, structures creuses destinées à être remplies de ballast une fois sur leur emplacement définitif, obéit à un plan précis qui commence par la réalisation du radier. Une dalle en béton armé classique mais dont les caractéristiques sont à la mesure du poids de la fondation qu’elle supporte. Ainsi, 810 m3 de béton, soit le contenu de 105 camions-toupies, sont nécessaires pour réaliser chacun des 71 radiers de 31 mètres de diamètre.
Leur particularité est aussi d’être percée de sept trous pour laisser entrer l’eau lors de l’installation de la fondation en mer. Les fondations sont ensuite réalisées à partir de ce radier « en six levées », indique Nicolas Jestin.
Chacune de ces pièces en béton, de 8 à 10 mètres de hauteur, coulées les unes sur les autres, répond à un moule spécifique. Dans les parties supérieures, l’un est percé de trous qui serviront d’évents pour chasser l’air lors de l’immersion. Si la première levée reste proche du plancher des vaches, la dernière, appelée top ring (lire page suivante), culmine entre 48 et 54 mètres de haut.
« Il ne faut pas avoir le vertige », explique Djamel Zidane. Le chef d’équipe, qui affiche 20 ans d’expérience au compteur, avoue un chantier « assez compliqué » par ce travail en hauteur pour lequel les ouvriers sont équipés comme des alpinistes et descendent parfois en rappel. « Cela a nécessité un temps d’apprentissage qui nous a notamment permis de passer de 14 jours de construction par levée à dix », poursuit Djamel Zidane.
À ce rythme, il faut environ six mois pour construire une fondation, où l’une des dernières opérations consiste à tendre à l’intérieur 18 câbles en acier à une tension de 400 tonnes pour en augmenter la résistance.
Alors qu’une première unité a été achevée à la mi-février, l’installation en mer se prépare. Leur immersion est prévue pour débuter en juillet et s’étendre sur deux mois. « S’il n’y avait qu’un levage, on pourrait considérer cela comme un chantier standard, mais le nombre de fondations le rend unique », indique Frédéric Péchadre, responsable du projet chez Saipem.
Sol
Le choix des fondations gravitaires à Fécamp a été fait en raison de la dureté du sol. Trop difficile à pénétrer, il a été décidé de se poser dessus.
Insertion
À fin décembre, le chantier des fondations avait permis de fournir plus de 230 000 heures de travail à des personnes éloignées de l’emploi, soit un volume estimé à près de 120 emplois à temps plein.
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Le nombre de centrales à béton mises en place par Lafarge du groupe Holcim à proximité du site pour fournir les 120 000 m3 nécessaires au chantier.
La compagnie italienne dépêchera pour l’occasion son navire Saipem 7000 doté de deux grues de 7 000 tonnes chacune. Les structures seront d’abord amenées par barge, par lot de trois, depuis le quai du Havre jusqu’au navire. Trois unités, les Castoro XI, Saipem 44 et Saipem 45, seront dédiées à cette logistique. Les barges sont en cours de préparation en Turquie.
De son côté, Boskalis a prévu de commencer ses opérations en mer au mois de mai. L’entreprise néerlandaise a pour mission de réaliser la couche d’assise sur laquelle viendra s’installer la fondation et assurera la stabilité de l’éolienne. Elle sera aussi en charge de remplir de ballast les fondations. La drague aspiratrice en marche Willem van Oranje réalisera ce travail.
La fondation est équipée d’un cône en acier afin de fixer un flexible par lequel passera « le sable graveleux prévu pour servir de ballast », explique Jeroen Tazelaar, responsable de projets chez Boskalis. L’entreprise prévoit d’achever son chantier au mois d’octobre avec la mise en place des enrochements pour protéger de l’érosion le remblai d’assises. La mise en service du parc de 497 MW est prévue en 2023.
Loïc FABRÈGUES
LE TOP RING, UN ÉLÉMENT MAJEUR DES FONDATIONS
À la différence des monopieux ou des jackets qui nécessitent d’installer une pièce de transition en acier sur la fondation pour faire le lien avec l’éolienne, les fondations gravitaires sont conçues dès leur origine avec ladite pièce. Dernière des six levées de la construction, le top ring est donc lui aussi fabriqué en béton.
Afin de réaliser la connexion avec le mât de l’éolienne, la pièce comporte en son centre sur sa partie supérieure 108 barres filetées dont le calage doit être très précis. La tolérance est de seulement 4 mm.
À l’intérieur du top ring se trouvent deux plateformes où sont installés les équipements électriques qui permettent d’exporter l’énergie de l’éolienne vers la sous-station électrique offshore. Des gaines, appelées J tubes, servent à passer les câbles électriques pour réaliser la connexion.
Une échelle de coupée ou boat landing, installée à l’extérieur et accessible depuis un navire de service, permet aux techniciens d’atteindre la plateforme située en haut de la fondation puis d’entrer dans l’éolienne. Chaque top ring est équipé sur cette plateforme d’une petite grue pour monter le matériel nécessaire, pour la maintenance notamment.
Au Havre, le déplacement des fondations gravitaires de leur emplacement de construction jusqu’à la barge nécessite d’installer quatre points d’accroche sur le radier. Ils serviront à deux grues portiques, placées de part et d’autre de la structure, d’en soulever les 5 000 tonnes, le temps de glisser dessous le chariot qui la transportera jusqu’au bateau.
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